Gespiegelte Fassung der elektronischen Zeitschrift auf dem Publikationsserver der Universität Potsdam, Stand: 2016
Originalfassung zugänglich unter http://www.hin-online.de

2-drews

Julian Drews

Écriture (auto)biographique
dans l‘Examen critique d‘Alexandre de Humboldt

Zusammenfassung

Der Bezug auf Kolumbus ist ein Gemeinplatz der Humboldtbiographik. Humboldt selbst betont ihn besonders in seinem Examen critique, wo er eine autobiographische Dimension gewinnt. Der Beitrag geht aus literaturwissenschaftlicher Perspektive dem Material und den Formen der Inszenierung nach, mit denen ein Leben über ein anderes dargestellt wird.

Résumé

La référence à Colomb est un lieu commun de la biographie humboldtienne. Humboldt lui-même le souligne particulièrement dans son Examen critique, en y ajoutant une dimension autobiographique. La contribution analyse, dans une perspective philologique, le matériel et les formes de mise en scène avec lesquelles une vie est représentée au travers d’une autre.

Summary

The reference to Columbus is a commonplace in Humboldt-biography. Humboldt himself is using it in his Examen critique which subjoins an auto-biographical dimension. This article examines from a philological point of view the materials and literary strategies by which one life comes to represent another.

Das diesem Bericht zugrunde liegende Vorhaben wurde mit Mitteln des Bundesministeriums für Bildung und Forschung unter dem Förderkennzeichen 01UO1302B gefördert. Die Verantwortung für den Inhalt dieser Veröffentlichung liegt beim Autor.

Le savoir biographique sur la vie

Les lecteurs des textes d’Alexandre de Humboldt sont souvent amenés à faire preuve d’esprit de synthèse et le matériel ne leur facilite pas cette tâche déjà si délicate : à la taille du corpus vient s’ajouter la complexité thématique, et par conséquent, la multiplicité des rapports et des liens entre les diverses branches du savoir, qui semblent en partie échapper à toutes classifications hiérarchiques. Par ailleurs, cette complexité se trouve amplifiée par la discrépance, maintes fois évoquée, entre, d’une part, le caractère souvent fragmentaire des textes de Humboldt et d’autre part, une aspiration explicite à la totalité.

Cette problématique est toutefois principalement redevable d’un mode de réception particulier qui connaît un grand succès dans la recherche sur Humboldt malgré l’hostilité apparente du matériel : il s’agit de la biographie. Comme le laisse déjà entendre le terme « recherche sur Humboldt », il est très facile de déterminer une branche de recherche à partir d’un nom propre et d’une paternité littéraire liée à une figure historique, que ce soit pour des questions scientifiques ou institutionnelles. Bien évidemment, il existe des contre-exemples. Notamment quand la recherche sur l’esclavage des années 1800 se basent sur les déclarations de Humboldt à ce sujet ou bien lorsque les concepts de Humboldtian science et de Humboldtian writing acquièrent un sens paradigmatique1. Malgré tout, la dimension biographique, c’est-à-dire l’intérêt scientifique pour la vie et l’œuvre d’Alexandre de Humboldt, reste un cadre de réflexion dans la recherche actuelle. L’héritage de l’analyse du discours n’a pas conduit ici à une dissolution de la biographie, mais bien plus à une dénaturalisation de la biographie et à l’engagement des chercheurs travaillant sur ce genre à légitimer leurs fondements conceptuels. C’est dans ce contexte que j’aimerais introduire le concept du « savoir biographique sur la vie ».

J’ai déjà défini cette notion à un autre endroit comme ce qui est « fondamental dans l’écriture sur la vie d’une personne »2. Cette définition vise à l’addition de deux perspectives. D’une part, elle renvoie aux champs thématiques pertinents relatifs à la biographie de l’individu. Il conviendrait de citer ici, par exemple, les relations humaines, l’appartenance à des groupes particuliers, le comportement dans des situations sociales complexes, les émotions, la manière de gérer sa propre finitude, tout comme la profession, qui elle-même peut générer une multitude de motifs essentiels à la graphie de la vie (par exemple le motif du voyage chez Alexandre de Humboldt). D’autre part, ce qui est fondamental à l’acte même de l’écriture, autrement dit il faut que les différentes ressources soient disponibles : en partant du temps, puis en passant par la matérialité des instruments d’écriture jusqu’à la disponibilité des formes langagières. Ces dernières ne se réduisent pas à la capacité de l’être humain de produire des formes langagières, ni à sa connaissance du système d’une langue historique à partir de ses éléments et des règles qui la régissent, mais exige la connaissance de traditions linguistiques complexes, que nous rencontrons sous la forme de genres, tropes, modèles d’argumentation, topiques et styles. Toutes ces figures correspondent à des conventions, si bien que dans l’optique de la graphie de la vie se pose la question suivante : De quelle façon ou plus précisément par quels chemins cette tradition arrive-t-elle à l’auteur(e) présumé(e) ? Quels traits biographiques sont actualisés ? Comment se comporte ce qui est fondamental à l’échelle individuelle dans la tradition du discours par rapport à ce qui est significatif pour l’homme en général, comme c’est le cas dans la littérature morale et existentielle ? Quelles sont les conditions générales grâce auxquelles un modèle langagier spécifique gagne de la valeur, pour que la personne concernée puisse lui confier le récit de sa vie ?3

Dans cet article, je me propose d’examiner ces questions en détail à partir de l’exemple de la réception de Colomb par Humboldt dans l’Examen critique. De toute évidence, le texte apporte des indices laissant paraître de manière évidente la présence de liens (auto)bio-graphiques. Dans la même mesure, on pourrait suivre un raisonnement épistémologique, qui serait vérifiable à plusieurs niveaux à l’aide de la graphie de la vie. Cependant, prétendre vouloir comprendre ces interdépendances à tous les niveaux ne ferait que repousser les motifs percutants en arrière-plan. C’est la raison pour laquelle je me limiterai dans cet article à la dimension biographique de la problématique. C’est là la seule manière qu’elle ait d’être à la fois objet et cadre de réflexion.

Les références à Colomb dans la littérature humboldtienne

Les liens entre Alexandre de Humboldt et Christophe Colomb constituent depuis longtemps un des motifs de recherche les plus récurrents dans le champ d’étude humboldtien. Rares sont les travaux biographiques qui renoncent à employer les expressions de « deuxième explorateur » ou d’« explorateur scientifique de l’Amérique » pour se référer au cadet des frères Humboldt et ceci était déjà valable pour les biographies rédigées par les contemporains de Humboldt4. Il est bien entendu évident que le nom d’Alexandre de Humboldt n’a pas la même importance en Amérique et en Europe. La «Renaissance humboldtienne»5, particulièrement ressentie dans l’espace germanophone, n’y changera rien. Dans sa biographie sur Humboldt, Adolf Meyer-Abich nous en livre la raison sous la forme d’une anecdote tirée de la rencontre avec un paysan vénézuélien. Etonné de voir que ce dernier connaissait Humboldt, le professeur lui demande d’où il le connaît. Il lui répond que c’est après tout l’homme qui a nommé les animaux et les plantes indigènes6. Dans le même texte, Meyer-Abich décrit également la présence du nom de Humboldt dans les noms de lieux et d’institutions, attestant de son importance culturelle en Amérique Latine surtout, mais également aux Etats-Unis.7

Dans la recherche, la réception de Colomb par Humboldt a été abordée sous différents angles8, même si, autant que je puisse en juger, pas dans une perspective critique sur l’aspect biographique comme cadre de représentation, c’est-à-dire dans la double perspective adoptée par le savoir biographique sur la vie. Je n’ai ici nullement l’intention de livrer un rapport de recherche exhaustif, je me permets cependant d’attirer l’attention sur l’ouvrage récemment publié d’Alejandro Cheirif Wolosky. Dans son livre intitulé Chrétiens, modernes, sauvages : La réception humboldtienne de Christophe Colomb, l’auteur considère la représentation de l’amiral par Humboldt comme vecteur de progrès et perçoit dans la description du voyage humboldtien une métaphore du voyage du Génois9. Cheirif Wolosky rejoint l’argumentation de Mary Louise Pratt10. Selon lui, la frontière de la civilisation, à l’origine de l’apparition des contours de l’universalisme occidental, constitue leur point commun. Il n’est pas nécessaire de suivre les interprétations des études postcoloniales pour reconnaître l’idée de métaphore dans ce contexte.

En ce qui concerne le savoir biographique sur la vie, se pose également la question de l’origine du matériel linguistique.

Examen critique

Consacrons-nous tout d’abord au texte en question. C’est dans les années trente que Humboldt se penche sur Colomb de manière très approfondie et détaillée, non pas sous forme autobiographique mais dans son Examen critique de l’histoire de la géographie du nouveau continent: et des progrès de l’astronomie nautique aux quinzième et seizième siècles, publié à partir de 183411 en cinq volumes. Cet « examen », concluant l’oeuvre issue de son voyage en Amérique, est présenté dans la préface de l’auteur comme accompagnant les cartes de l’Atlas géographique et physique du royaume de la Nouvelle-Espagne, déjà publié en 1814. Les réflexions préliminaires sur l’Examen critique laissent entrevoir une structure en quatre parties, qui, selon Humboldt, devront être traitées les unes après les autres :

1. des causes qui ont préparé et amené la découverte du Nouveau Monde; 2. de quelques faits relatifs à Christophe Colomb et à Amerigo Vespucci, comme aux dates des découvertes géographiques; 3. des premières cartes du Nouveau Monde et de l’époque à laquelle on a proposé le nom d’Amérique; 4. des progrès de l’astronomie nautique et du tracé des cartes dans le quinzième et seizième siècle.12

Si nous cherchons cette répartition dans le texte en question, nous constatons que les cinq volumes publiés ne se consacrent qu’aux deux premiers points de la structure. Malgré tout, la manière d’écrire de Humboldt conduit à ce que, dans chaque partie de son analyse, il y ait des liens en rapport avec les autres points de la structure. La première partie et la première moitié de la seconde, réparties dans les volumes 1 et 3, sont particulièrement pertinentes pour l’analyse de son rapport avec Colomb.

Ce travail intensif sur Colomb ne se réduit cependant pas à ce volume, mais y prend seulement sa source pour réapparaître ensuite dans d’autres textes. Par exemple, si le nom de Colomb n’apparaît qu’une seule fois dans le premier tome de la première édition des Ansichten der Natur de 1808, il est mentionné dix fois dans les explications et les suppléments de la troisième édition datant des années 184013. Dans un article datant de 1992, Ottmar Ette a analysé comment le regard de Humboldt sur Colomb a évolué entre la rédaction de ses Ansichten der Natur et celle de Kosmos. Selon lui, Humboldt considère à ses débuts Colomb comme un simple témoin de faits historiques et phénomènes naturels. Ses longues années d’analyse et de recherches sur l’amiral ont finalement poussé Humboldt à voir en Colomb un acteur essentiel de l’histoire des sciences et de l’histoire du progrès humain.14 L’exemple qui suit illustre bien la dimension épistémologique que Humboldt parvient à faire ressortir des textes de l’amiral. À la septième note, Humboldt tente entre autre de décrire la position exacte d’une forte concentration de varech dans l’Atlantique. Les comptes-rendus des marins lui sont pour cela indispensables. Le principal changement entre la première et la troisième édition réside dans l’exploitation exhaustive et critique des sources ainsi que des écrits conservés de Christophe Colomb15. Il s’agit en effet de compléter ces données à l’aide de ses propres expériences, de comptes-rendus aussi bien contemporains qu’historiques, remontant jusqu’à l’Antiquité, et de s’en servir comme base de données dans le cadre d’une problématique définie, sachant que les indications de lieu et de temps de Colomb sont d’une importance considérable, et ont, en outre, impliqué des conséquences politiques.

Ainsi, Humboldt présume déjà dans son Examen critique, que Colomb, à la suite de son retour en 1493, a été intégré aux discussions concernant la ligne de démarcation séparant les zones d’influence espagnole et portugaise et est probablement intervenu en faveur d’une politisation de celle-ci qui, jusque-là n’avait été que géographique et caractérisée par la présence massive de varech16.

Dans la préface de l’Examen, Humboldt signale les desiderata qu’il a l’intention de compenser avec ses recherches. D’une part, il espère pouvoir lire de manière plus fructueuse les sources du XVe et du XVIe siècle grâce à sa connaissance des lieux, contrairement à ce que lui aurait permis leur simple consultation dans les archives européennes. D’autre part, il tient explicitement à une historisation conséquente. Plutôt que de reconnaître le Moyen-Âge comme époque morte du point de vue du développement scientifique et technique, il propose de faire le lien entre l’Antiquité et les Temps Modernes en établissant des frises marquant l’évolution culturelle de chaque innovation scientifique, de telle sorte que leur historique puisse être intégralement reconstitué17.

L’émergence d’un « Nouveau Monde » dans la géographie européenne, nous amène à nous poser la question de l’interaction des différents facteurs qui ont conduit à cet événement. Dans ce cadre, la représentation de Colomb comme figure d’exception se heurte à la représentation d’une multitude de conditions pour lesquelles les liens biographiques entrent en jeu à plusieurs niveaux. De manière explicite, Humboldt met ses propres expériences en rapport avec celles de l’explorateur lorsqu’il se refuse d’attribuer la maladie de ce dernier, lors de son troisième voyage, au climat du golf de Paria : il se serait lui-même rendu sur les lieux, sans être malade.18 De manière implicite, le lien se fait lorsque Humboldt souligne les aptitudes de Colomb telles que son esprit d’observation aigu pour les phénomènes naturels et son habileté à créer des liens entre ceux-ci.19 Il caractérise précisément en cela les traits qui caractérisent sa propre perspective. Il me semble opportun d’expliciter ici mon propos à l’aide de deux exemples : l’un concernant la manière dont Humboldt aborde les mythes géographiques qui influencèrent Christophe Colomb et l’autre, l’analyse des résultats de mesure du champ magnétique laissés par l’amiral.

Navarrete et Irving

Il s’agit maintenant de nous focaliser sur les principes de l’écriture sur Christophe Colomb dans l’Examen critique, et plus précisément sur les conditions de l’élaboration du texte, sachant que ce texte pourrait également être lu de manière autobiographique. En premier lieu, il est important de faire le point sur les sources. Le texte fait mention de deux sources majeures en lien avec Christophe Colomb. La première rentrant en ligne de compte, de manière purement quantitative, c’est à dire par le nombre de renvois explicites, est l’ouvrage de Martín Fernández de Navarrete Colección de los viajes y descubrimientos que hicieron por mar los españoles desde fines del siglo XV: con varios documentos inéditos concernientes à la historia de la marina castellana y de los establecimientos españoles en Indias paru en cinq volumes entre 1825 et 1837. L’ouvrage de Washington Irvings A History of the Life and Voyages of Christopher Columbus paru en 1828 est également mis en valeur du point de vue de son contenu. Concernant les conditions de réception de ces livres, elles peuvent être représentées de la manière suivante : Irving a lu Navarrete, Humboldt aussi bien l’un que l’autre.20

Penchons-nous tout d’abord sur la plus ancienne de ces œuvres, soit la Colección de los viajes de Navarrete et précisément sur les deux premiers volumes de 1825, les plus pertinents pour l’analyse des liens avec Christophe Colomb. Ils sont constitués d’une introduction d’une centaine de pages qui décrit, en 69 paragraphes, l’évolution de la navigation maritime et celle du savoir géographique de l’Antiquité à la fin du XVe siècle tout en les mettant en relation. Celle-ci est suivie d’un appareil critique de 36 pages contenant des notes.

La partie principale des deux tomes contient les sources sur Christophe Colomb, telles que les lettres et les publications du journal commentées de manière ponctuelle dans les notes de bas de page. À partir de 1800, Navarrete fut membre de la « Real Academia de la Historia » ce qui eut une influence sur la forme de ses publications. En effet, son ouvrage laisse apparaître les deux aspects de la programmatique que l’institution développe en ce qui concerne l’americanismo, autrement dit les études historiques sur l’Amérique depuis la seconde moitié du XVIIIe siècle. D’une part, les sources ainsi que les documents originaux doivent être recueillis, classés, examinés du point de vue de leur crédibilité, puis, éventuellement édités. D’autre part, le travail historiographique doit clairement s’orienter en fonction des intérêts politiques de l’Etat et de la Couronne, ce qui signifie avant tout se défendre contre les rumeurs et les accusations émanant des nations rivales ou des colonies.21 Les critiques du rôle joué par l’Espagne dans la colonisation du Nouveau Monde sont combattus avec l’argument de leur inexactitude en raison de leur manque de connaissance des sources.22 De cette manière, il est facile de faire le lien entre l’étude des sources et l’agenda politique, bien que celles-ci soient aussi parfois censurées. L’exemple le plus pertinent à ce sujet serait l’édition différée des œuvres de Bartolomé de las Casas qui représentent une source non négligeable dans la recherche sur Christophe Colomb.23 L’orientation politique de Navarrete ressort clairement dans la partie introductive de son ouvrage, alors qu’elle se fait plutôt discrète dans les commentaires des œuvres du corpus.

Washington Irving décrit dans son introduction à A History of the Life and Voyages of Christopher Columbus comment, pendant l’hiver 1825-1826, il reçoit en France une lettre du mandataire général des États-Unis de Madrid l’informant du travail de Navarrete et lui proposant d’en faire la traduction en anglais. Irving accepte et rejoint Madrid quasiment au moment de la publication de l’œuvre :

Still the whole presented rather a mass of rich materials for history, than a history itself. And invaluable as such stores may be to the laborious inquirer, the sight of disconnected papers and official documents is apt to be repulsive to the general reader, who seeks for clear and continued narrative. This circumstances made me hesitate in my proposed undertaking; yet the subject was of so interesting and national a kind, that I could not willingly abandon it.24

C’est une biographie que rédige Irving par la suite et qui – il est important de le signaler – a été conçue à partir du matériel de Navarrete et de recherches personnelles, et également construite, dans une perspective d’histoire des genres littéraires, en s’appuyant sur l’Historia del Almirante Don Cristóbal de Colón, écrite par Fernando, le fils de Colomb dans les années trente du XVIe siècle.25

Irving synthétise le matériel biographique sous forme d’ une histoire retraçant le développement personnel et la formation du jeune Colomb et visant manifestement à présenter le protagoniste comme un « grand homme », dont la personnalité exceptionnelle est à la hauteur de ses découvertes d’un point de vue historique. Chacun des deux auteurs s’est donc penché sur le caractère de l’amiral qui, mâtiné d’une pointe de romantisme, il a même déteint sur les tournures de phrases de l’Examen critique, comme le montre Ottmar Ette.26

De même, dans la préface, Humboldt loue la faculté du biographe à lier imagination artistique et travail purement historiographique. En effet, à certains endroits du texte sont mentionnées des découvertes qui proviennent de l’étude des sources de Irving. Cependant, la réception de Irving semble bien plus présente au début de la deuxième partie, que j’aimerais ici citer de manière plus détaillée:

Il peut paraître téméraire ou du moins inutile d’ajouter au tableau qu’une main habile a tracé [...] des grandes qualités et des faiblesses de caractère du navigateur génois. M. Washington Irving a très bien senti que c’est diminuer l’expression d’un éloge que de l’exagérer. Je me permettrai de compléter le tableau en m’arrêtant quelques instants aux traits individuels du héros, en signalant spécialement à l’admiration des savans cet esprit d’observation, ces grandes vues de géographie physique que révèlent les écrits de Colomb. D’après la direction de mes propres études, j’ai dû être frappé d’un mérite qui n’a point encore été placé dans son véritable jour, et qui contraste avec le défaut de science et le désordre d’idées que ces mêmes écrits offrent assez fréquemment. Le caractère des grands hommes se compose à la fois de la puissante individualité par laquelle ils s’élèvent au-dessus de leurs contemporains, et de l’esprit général de leur siècle, qu’ils représentent, et sur lequel ils réagissent. Leur renom n’a rien à redouter de l’analyse à laquelle on essaie de soumettre ce qui leur donne une physionomie distincte, des traits ineffaçables. Nous n’examinerons pas ce que l’on doit le plus admirer dans Colomb, de la lucidité presque instinctive de son esprit, ou de l’élévation et de la trempe de son caractère. Dans les hommes qui se sont illustrés par de grandes actions, ou, pour me servir d’une expression qui caractérise davantage l’individualité de Colomb, par la réalisation d’un vaste et unique projet, le vulgaire a l’injuste prévention d’attribuer les succès bien plus à l’énergie du caractère qui exécute qu’à la pensée qui a conçu et préparé l’action. Certes, les facultés intellectuelles de Colomb ne méritent pas moins d’admiration que l’énergie de sa volonté ; mais il est de la destinée du genre humain de voir préférer la force, les excès même de la force, aux nobles élans de la pensée.27

Au cours de ses recherches sur Colomb, Humboldt est amené à se présenter comme l’avocat d’une performance jusque-là trop peu valorisée. Celle-ci est indissociablement liée, d’une part, à un certain seuil de savoir positif, c’est-à-dired’acquisition du savoir et, d’autre part, au caractère d’un « grand homme ».

C’est donc dans cette tension entre force et aptitudes que se pose la question des raisons qui ont poussé Colomb à traverser l’Atlantique. Irving les expose en paraphrasant et en évaluant les passages correspondants dans l’Historia del Almirante de Hernando Colón. Il y est écrit: « Llegando a decir las causas que movieron al Almirante a descubrir las Indias, digo que fueron tres: los fundamentos naturales, la autoridad de los escritores y los indicios de los navegantes. »28

Dans les conclusions d’Irving, les conditions naturelles se réfèrent à l’idée d’une forme sphérique de la terre ainsi qu’aux hypothèses concernant sa taille qui se basaient sur la distance supposée entre les parties orientales connues d’Asie et les Açores, point le plus occidental, en considérant que cette distance correspondait au tiers de sa taille réelle. Concernant les points indiqués dans la seconde partie de la citation et certifiés par des autorités telles que Aristote et Sénèque, ils se réfèrent à l’idée que l’on pourrait atteindre les Indes en quelques jours seulement en partant de Cadiz, tout comme à l’idée que le tiers de la circonférence terrestre encore inexplorée ne serait recouvert d’eau qu’en très faible partie en raison de l’expansion à l’est du continent asiatique. Dans les récits des marins on trouve des informations de plantes échouées, de bois travaillés inconnus et d’étranges cadavres. Sans oublier les idées populaires se mélangeant aux légendes, comme c’est le cas notamment des repérages renouvelés et documentés d’îles situées à l’ouest des Îles Canaries, qui inspirèrent bon nombre d’expéditions mais restèrent vaines, se mélangeant par la suite à la légende du saint irlandais Brendan.

Irving attribue la présence de légendes à la psychologie du personnage en incriminant le tempérament particulièrement fougueux de Colomb, que même des détails triviaux semble conforter dans ses projets. D’un point de vue formel, les légendes sont brièvement annoncées dans le texte et reportées dans les notes du quatrième volume. Navarrete procède également de cette manière.

Géographie mythique

L’Examen critique, en revanche, n’abandonne pas complètement cette hiérarchie, mais attribue aux mythes et aux légendes une fonction épistémologique. Les récits sur l’île de Saint-Brendan, Antillia ou d’autres formes similaires, peuvent inspirer des cartes, qui sont elles-mêmes à l’origine de voyages, qui engendrent de nouveaux récits, qui finalement apportent des informations pour la création de nouvelles cartes. De cette manière – et ceci est un aspect fondamental – ni la fonction de nation chez Navarrete, ni la fonction psychologique chez Irving ne sont remplacées par la vague notion du Tout comme outil de synthèse. Il s’agit d’autre chose. Humboldt procède à une réorganisation du matériel, où les détails secondaires prennent l’importance d’objets principaux. Cette recomposition ne vise cependant pas à un Tout indifférencié, mais à une objectivation des relations, dans laquelle les formes de circulation du savoir sont décrites de manière précise et détaillée grâce au travail philologique sur l’histoire des réceptions et à la cartographie historique. L’approche la plus productive consiste donc – et ceci également dans le sens du savoir biographique sur la vie – à lire Humboldt comme celui-ci a lu Colomb.

Quant à la thématisation d’importance égale des mythes et légendes, des réalités géographiques et des formats médiatiques, Humboldt se rapproche de Colomb. Les différents axes historiques que l’Examen critique reconstruit, se retrouvent chez le Génois. Humboldt les additionne afin d’établir un profil psychologique, mais sans en faire le but de son argumentation, car l’accent est mis parallèlement sur l’évolution historique de chaque élément de son interprétation. Le choix de ces facteurs se justifie donc par leur influence sur Colomb à un moment historique donné. Qu’apprend-on sur ce moment dans l’Examen critique ? Les tournures choisies par Humboldt pour faire de Colomb un « grand homme », apparaissent indispensables pour expliquer ce phénomène mais ne constituent qu’un aspect de son argumentation. La « puissante individualité » s’ajoute aux facteurs historiques, suggère une élucidation, mais reste cependant inexpliquée. Humboldt ne cesse de revenir sur ce qui est concret et tangible (la technique, la géographie et la tradition). Les hypothèses sur le caractère de son prédécesseur et la description des facteurs n’entrent pas dans un rapport herméneutique fermé des Parties et du Tout.

C’est justement dans ce qui n’est pas révélé explicitement que se développe un lien allusif rapprochant les deux voyageurs. Le prestige à la fois modeste et persuasif de Humboldt légitime le discours de la figure d’exception, dans le sens où ces puissantes personnalités se reconnaissent mutuellement. Ou bien est-ce la force constituante de ces individualités qui se ‘reconnaît’ elle-même29, tout comme elle a besoin d’être une âme privilégiée pour reconnaître la qualité exceptionnelle d’une âme sœur ?30

La référence à cet autre voyageur transatlantique, qui débuta ses périples en 1492, présente toujours deux faces : l’une qui reste conceptuellement indéterminée quant au caractère d’exception et l’autre qui transmet une continuité claire du savoir.

Continuité des mesures

Humboldt aborde les mesures commentées par Colomb en montrant un intérêt particulier pour la déclinaison magnétique terrestre, autrement dit la différence entre la direction du nord magnétique et celle du nord géographique. Comme le champ magnétique change continuellement, ce phénomène a également une dimension diachronique significative. Humboldt estime pouvoir reconstituer l’axe sans inclination pour la période entre 1492 et 1498 à partir des données de l’amiral.31

En procédant à cette restitution, il établit une continuité grâce à laquelle se laisse facilement démontrer la tension entre l’auteur, créateur d’idées et de sens, et les formes sociales. Comme il ne s’agit cependant pas d’un texte autobiographique, cette tension n’existe pas entre un « Je » autobiographique présumé (c’est-à-dire un « Je » capable d’autodescription) et la convention de la forme littéraire. L’aspect social se retrouve plutôt dans le mesurage, c’est-à-dire dans la réalisation d’un acte basé sur une convention sociale à partir de moyens conventionnels (unité de mesure et mesure matérialisée) comme l’ont formulé Werner Richter et Manfred Engshuber :

Eine solche Maßverkörperung (einfaches Beispiel: Lineal zur Längenmessung) ist in Einheiten skaliert und die Geschichte des Messens ist im Grunde eine Geschichte der Maßverkörperungen, der benutzten Einheiten, deren Definitionen und ihrer Skalierung.32

C’est précisément la possibilité d’établir une série de mesures sur une période de 300 ans et de compléter les résultats de manière sensée, qui justifie la portée intersubjective des mesures. D’autre part, la première personne dans les textes de Humboldt ne peut être remplacée par un « on » sans qu’il n’y ait de perte au niveau du contenu, pour la simple raison que ce « Je » désigne celui du voyageur, qui est lié à un prédécesseur déterminé par le privilège d’avoir été aussi sur place et non à une personne quelconque sachant mesurer. Ceci permet certes de constater l’actualisation d’un modèle, celui de la métaphore dans le sens de Cheirif Wolosky, donc de l’aspect social, mais la dimension biographique ne disparaît pas. La transmission des résultats et de leur validité perd de sa valeur si on ne les lit pas depuis la perspective de celui qui peut affirmer qu’il était sur les lieux, qui authentifie ses propos par le temps passé à voyager et par la renommée acquise à la suite de son voyage, comme un autre avant lui. Autrement dit : dans la remarque de Humboldt ne se cache pas seulement une preuve de répétabilité des mesures qui doit être constamment reconfirmée au fur et à mesure des mesures empiriques, mais également l’indice d’une répétition spécifique. Celle-ci livre par la même occasion le lien qui unit les deux cas : dans le premier cas de figure, tous deux seraient à considérer individuellement dans l’ensemble, dans le second cas de figure, les différences seraient davantage mises en avant. La métaphore semble donc s’approprier comme figure.

Conclusion

La dimension (auto)biographique dans l’œuvre de Humboldt au sujet de Colomb mérite donc bien sa parenthèse. S’agit-il de Humboldt qui essaie de se faire comprendre dans ses écrits sur Colomb ou bien s’agit-il des biographies (y compris l’analyse ci-jointe) qui tentent de le mettre en lumière à travers de cette métaphore ? Cette question ne peut trouver de réponse car on ne peut accéder à l’intention de la figure historique. Cependant, ce qui est sûr c’est que Humboldt s’est penché sur l’explorateur aussi bien dans une approche personnelle que dans la mise en valeur de ses performances. Les textes de Navarrete et de Irving jouent ici un rôle fondamental, bien que le premier aspire, au travers d’un travail sur les sources, à un idéal de reconstruction des facteurs essentiels de l’histoire des sciences. En revanche, Irving propose le modèle d’une lecture où l’on peut apprendre à connaître le personnage. Du point de vue du savoir biographique sur la vie, la vision de Humboldt sur Colomb se présente comme une interaction entre sa propre expression et la convention établie c’est-à-dire les modèles antérieurs et ceci est également valable pour la dimension (auto)biographique de la lecture de l’Examen critique.

Le texte en allemand se trouve dans: Ottmar Ette, Julian Drews (éds.) (2016) : Horizonte der Humboldt-Forschung. Natur, Kultur, Schreiben. Hildesheim/Zürich/New York (POINTE. Potsdamer inter- und transkulturelle Texte, vol. 16) p. 79–95.

La traduction française a été réalisée par Julie Sophie Coste aidée de Pauline Barral avec l‘aimable autorisation de la maison d‘édition Georg Olms.

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1 Concernant le concept de la Humboldtian Science se référer à Cannon 1978 et pour le concept de Humboldtian writing, à Ette 2001.

2 Drews 2015 : 40.

3 Le concept d’écriture de vie est également lié aux questions relatives à l‘individu, mais d’un point de vue littéraire. Le débat porte sur la possibilité d’une expression individuelle de l’auteur au moyen de formes langagières conventionnelles, donc sociales. Il ne s’agit ici pas d’une dimension psychologique supposée être située en amont de l‘expression langagière.

4 Sur ce point, cf. Ette 1992 : 401, 420f. tout comme récemment Cheirif Wolosky 2014 : 15.

5 Kraft 2014 : 39.

6 Meyer-Abich 1999: 8.

7 Ibid. : 9.

8 Cheirif Wolosky en donne un aperçu dans 2014 : 16.

9 Cheirif Wolosky 2015.

10 Pratt 2008.

11 Un aperçu de l’histoire de cette publication est disponible chez Ette 2009b : 242f.

12 Humboldt 1836 : 9f.

13 Pour cela, Humboldt 1808 et Humboldt 1849 ont été comparés. Cf. également Ette 1992 : 403.

14 Ette 1992 : 419.

15 Humboldt 1849 : 84–87.

16 Humboldt 1837 : 55.

17 Humboldt 1836 : XVII.

18 Humboldt 1837 : 335.

19 Ibid. 25.

20 Humboldt loue dans son Examen critique les mérites de Irving pour la reconstruction de la route de Colomb. Pour sa part, Irving y fait référence dans une remarque de la version révisée de son ouvrage, paru en 1848 (cf. Schwarz 1997 : 94).

21 Vélez 2007 : 27.

22 Ibid.

23 Ibid. 28ff.

24 Irving 1828 : IV.

25 Colón 1892.

26 Ette 1992 : 411.

27 Humboldt 1837 : 12f.

28 Colón 1892 : 27.

29 Concernant le rapport entre sujet et force, cf. Menke 2008.

30 Ottmar Ette a attiré l’attention sur une belle preuve de ces superpositions : le nom de jeune fille de la mère de Humboldt, qui descendait d’une famille huguenotte et était une femme née Colomb (Cf. Ette 2009a : 236).

31 Humboldt 1837 : 44.

32 Richter, Engshuber 2014 : 25.



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